Ré-édition et correction d’un article publié le 7 nov. 2021 sur studiominhson.com à propos du Neues Museum, Berlin, ré-imaginé en 2009 par l’architecte David Chipperfield.
Pour reprendre les mots du critique d’architecture Rowan Moore dans un article de l'Architectural Review, David Chipperfield dirige son intervention architecturale non pas par une quête de “virtuosité” parfois caricaturale et typique des architectes stars du 21ème siècle , mais par la modestie et l'humilité face à un patrimoine bâti d’un autre temps.
Face à une ruine, il existe une variété d’attitudes possibles sur laquelle l'architecte contemporain chargé de projet se positionne. De manière plus ou moins habile, il tentera de créer un dialogue entre l'ancien et le contemporain. Parfois, il cherche à faire taire l'ancien en le masquant, en l'écrasant, ou en le supprimant purement et simplement, souvent pour tenter d'ajouter "sa signature contemporaine” à un contexte existant.
Au Neues Museum, David Chipperfield opte pour une autre option : celle de se taire. Cette attitude de discrétion et d’humilité si inhabituelle de nos jours et justement ce qui a fait parler de lui. Par son désir de non-intervention, il a créé un langage architectural nouveau aux antipodes du geste architectural contemporain et a remis en lumière une esthétique inédite dans un monde où la nouveauté et le neuf priment sur le souvenir et les traces du temps.
On nous laisse alors observer des murs de bâtiment qui portent les vestiges superposés de décors à la mode d’époques différentes, et fatalement, les cicatrices d’un bombardement de la seconde guerre mondiale. Ensuite, par un moment de contemplation, on peut se surprendre à faire l'éloge de la ruine et l'exposition de ses entrailles. Ce goût pour les traces du passage du temps n’est pas inédit à l’échelle de l’humanité, Hubert Robert aurait pu en son temps apprécier et peindre cette œuvre du temps.
Puis vient le moment d’analyse de l'intervention. L'architecte Chipperfield s’est tout de même vu chargé de la mission de rendre au bâtiment son exigeante fonction muséale. Il décida de le faire en stabilisant et cicatrisant ses plaies sans vouloir les faire disparaître. Son intervention cherche partout à se faire discrète et c'est par cette affirmation d'une signature, que Chipperfield crée sa signature. À l'opposé de la philosophie de nombreux bureaux internationaux prônant une société mondialisée et pseudo futuriste, Chipperfield se distingue par la discrétion élégante de sa construction pourtant si complexe. Un geste qu’on qualifiera "d'understatement" en architecture.
Les enduits tombés pendant la guerre deviennent textures des décors intérieurs, les voûtes mises au jour prennent comme motif leurs entrailles de brique et d'argile, et les pièces se présentent les unes après les autres aux visiteurs en affichant leurs défauts soigneusement pérennisés, mais pas jamais dissimulés. Il y a bien quelques éléments reconstruits de toutes pièces par l'architecte comme l'escalier monumental, mais Chipperfield a pris soin de reprendre le dessin de la volumétrie de l'escalier d'origine (bien qu’on puisse trouver le résultat quelque peu massif), complètement détruit par la guerre. Comme pour symboliser sa précédente présence et laisser au visiteur le plaisir de l’imaginer sans vouloir en faire la copie.
Par cette attitude, Chipperfield respecte non seulement les chartes de la restauration du patrimoine, et montre que l'humilité et la discrétion face à l'histoire peuvent être une réponse élégante et juste en architecture. Une position que nous partageons et qui nous inspire dans nos interventions au Château de Sainte-Sévère, allant également dans le sens d’une esthétique particulière mêlant patine et gestes dévoilés de pérennisation.
À très bientôt sur Château Route ! Minh-Son
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